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L’évolution de l’architecture musulmane

L’évolution de l’architecture musulmane

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L’évolution de l’architecture musulmane

De la mosquée de campagne au symbole de la grandeur de l’islam

De la mosquée du Prophète à Médine (vers 622) enceinte en brique de terre crue et feuilles de palme, à la mosquée Suleymanye Camii avec sa coupole de quarante-sept mètres de hauteur et ses quatre minarets, l’architecture islamique a connu une évolution significative. Cette évolution commence à s’opérer durant l’expansion de l’islam et l’ère de la conquête arabe.

El rey Don Rodrigo arengando a sus tropas en la batalla de Guadalete
Huile sur toile, par Bernardo Blanco y Pérez (1871). Actuellement au Musée du Prado, à Madrid (Espagne).

C’est à partir de 634 sous le khalifa [1] d’Omar le deuxième successeur du Prophète Mohammed que commence l’expansion de l’islam à travers le monde. Pluridirectionnelle, celle-ci atteint dès les premières années les empires Byzantins et Sassanide qui ne tardent pas à tomber. Les deux grands empires sont sur le déclin et l’Arabie et ne résiste pas à la déferlante arabes qui termine de les achever. Désorganisé et ruiné par les guerres intestines et ses conflits avec l’Asie, l’empire Byzantin gouverné par Héraclus, un chef pourtant énergique, ne résiste pas longtemps à la déferlante armée des arabes. L’empire Sassanides ne se tient guère mieux. Vaincu par les armées d’Heraclus, l’empire sombre dans l’anarchie avant que son dernier roi ne soit mis à mort par les arabes.

L’avancée arabe prend plusieurs directions. Tandis que des batailles décisives se poursuivent à l’est vers la Perse et l’Afghanistan, à l’ouest vers l’Egypte, sont engagées de nouveaux raids. En 642, moins de dix ans après le début de son expansion le territoire islamique s’est considérablement étendu absorbant des pays comme la Cyrénaïque (une région de Lybie), l’Iran et l’Irak et des régions d’Anatolie (actuelle Turquie).

Au niveau de la régence les Califats s’enchaînent. La plupart sont écourté par l’assassinat des dirigeants aux termes de bataille ou de luttes pour le pouvoir.

L’histoire de cette fulgurante conquête prend un nouveau tournant quand en 661, sous le Califat Al-Walid 1er les troupes prennent Damas et y installe la nouvelle capitale de l’empire arabe. C’est le début des Omeyyades, une ère qui durera jusqu’en 750 considéré par beaucoup comme l’âge d’or Arabe. C’est au cours de cette période que l’institution religieuse des Califats devient une institution dynastique et héréditaire. Les premières années des Omeyyades voient un ralentissement dans les combats. Ce temps est mis à profit pour structurer l’empire et renforcer l’islamisation des pays conquis.

En 670 les batailles de conquête reprennent avec l’annexion de la Tunisie où est bâtie la mosquée de Kairouan un centre spirituel et religieux qui va étendre la rayonnante de l’islam à travers tous le Maghreb. La berbérie est ensuite conquise jusqu’au détroit de Gibraltar qui est traversé en 710. En 714 l’Espagne tombe aux mains des musulmans qui poursuivent leur incursion dans le nord. En 732 ils parviennent jusqu’en Gaulle où ils sont arrêté à Poitier par Charles Martel.

Mosquée Kalon
Ouzbékistan, 795-1514

De l’autre côté de l’empire à l’ouest l’expansion se poursuit également Samarkand et Boukhara (des régions de l’actuelle Ouzbékistan) deviennent les sièges du gouvernorat arabes. La conquête pénètre au Ferghanas (à l’est de l’Ouzbékistan) au Turkestan chinois et finalement en Chine en 751.

C’est à cette année-là après presque un siècle de luttes que l’ère de la conquête s’achève. L’empire arabe qui s’étend de l’Asie central à l’Atlantique et des Pyrénées à la vallée de l’Indus est arrivé aux bornes de son expansion.

Durant les premières décennies l’avancée militaire est trop rapide pour que s’instaure et se démocratise un modèle de mosquées à travers les territoires conquis. La religion musulmane connait en outre des problèmes d’assimilation notoires. Les religions des territoires conquis son nombreuses et diversifiées (monothéistes, animistes et polythéiste) et jouissent pour certaines d’une position stratégique au coeur des villes et des pratiques sociales. Tandis que les mosquées sont pour la plupart des espaces reconvertis ou des réemplois en assemblages d’autres constructions quand ce ne sont pas simplement des mosquées de camp : de simple place délimitée par des clôtures ou des fossés avec une lance plantée dans le sol pour signifier le sens de la qibla.

L’évêque gaulois Arculf, qui visite Jérusalem en 670, mentionne « un bâtiment grossièrement construit à l’aide de grosses poutres posées sur des ruines ». Or il s’agit de la première mosquée édifiée sur les vestiges du « Temple de Salomon », site sacré s’il en est pour les musulmans en raison du fameux Voyage nocturne qu’y effectuera le Prophète ». [2]

Pour atteindre l’architecture en « dur » et les grands ouvrages qui font la splendeur de la construction islamique il faudra attendre près d’un demi-siècle. La métamorphose toutefois commence à s’opérer avec la dynastie des Omeyyades qui commence quand Damas est proclamée nouvelle capitale de l’empire arabe en 661.

Les enjeux politiques vont être moteurs de ce changement. Les califes se succèdent à la régence de Damas et cherchent à asseoir l’autorité de la ville sur l’empire pour surpasser Médine avec qui les tensions ne cessent de croître. Il leur faut rallier d’avantage de fidèles et renforcer l’unicité religieuse en créant une identité culturelle et architecturale forte à la hauteur de la splendeur judéo-chrétienne. Pour cela ils décident de puiser dans le savoir-faire des grands empires absorbés par l’expansion musulmane : l’important legs et le génie architectural Gréco-romain d’une part et le savoir-faire constructif et la maîtrise artisanale byzantine d’une autre.

Coupe du Dôme du Rocher, Jerusalem
Early Muslim Architecture. Umayyads A. D. 622–750. 2 Vols. Creswell, K. A. C.
Coupe détaillée et plan du Dôme du Rocher
Henri Stierlin, Architecture de l’islam

Dans tout le territoire musulman sont alors construites de nouvelles grandes mosquées qui copient et s’inspirent de l’architecture religieuse et fastueuse locale. Il ne se développe pas un archétype islamique mais une pluralité qui se met au service de l’intégration culturelle de la religion.

Dans la région de Damas et en Egypte les mosquées sont construites selon le plan basilical romain, avec une nef centrale, et vont même jusqu’à suivre le plan du decumanum romain pour s’insérer. Plus à l’est vers l’Iran les mosquées sont construites selon un plan centré et agrémenté de nouveaux organes comme l’iwan, un élément architectural que l’on retrouve sur les palais des grands rois sassanides. Dans le Turkestan oriental les premières mosquées sont des pagodes construites sur plusieurs étages.

Ce n’est qu’au fil des années et des nouvelles constructions que vont commencer à se mettre en place des fonctionnements spatiaux, ornementaux et architecturaux propre à l’islam. Le développement en largeur remplace peu à peu le plan longitudinal (Cf. la mosquée de Damas), le choeur et la nef disparaissent au profit d’un plan hypostyle avec la répétition d’un motif d’espace alignable à l’infini, comme le l’emploi plus tard la mosquée de Cordoue et de nouveaux organes se généralisent et se répandent comme la cour, les minarets ou encore le dôme.

Grande mosquée de Xi'an
Chine, 742-1392

La première grande réalisation qui va initier le mouvement de renouveau spatial des mosquées est le Dôme du Rocher à Jérusalem (687-692).

Il ne s’agit pas d’une mosquée mais d’un important lieu de pèlerinage de la tradition judéo-chrétienne. Cité plusieurs fois dans le Coran comme le lieu de l’isra et du Miraj du Prophète (la Visite Nocturne et l’ascension dans les cieux) il est aussi important pour l’islam.

C’est en prime un lieu stratégique qui attire un très grand nombre de pèlerins et que le califat de Damas compte bien transformer en troisième grand lieu saint de l’islam.

L’architecture du Dôme du Rocher est allégrement empruntée au style Byzantin avec un plan centré inscrit dans une forme octogonale dont la géométrie répond à des règles de mathématiques ésotériques précises. Construit à la manière des martiryums de la tradition chrétienne c’est un édifice qui permet des déambulations circulaires à la manière de la place de la Mecque. Les galeries construites en cercles concentriques révolutionnent autour du Roc, et d’un dôme central en bois recouvert de cuivre à l’extérieur.

Objet tourné vers lui, cette première grande construction arabe, n’est pas une mosquée. Toutefois elle pose certains principes spatiaux tels que le dôme, qui vont largement se répandre à travers l’empire musulman, notamment au sein de l’architecture ottomane.

Coupe de la mosquée Sélimiyé Camii, Edirne, Turquie 1568
VOGT-GÖKNIL Ulya, Grands courants de l’architecture islamique
Grande mosquée de Damas : vue extérieure de qubbat an-Nassr, « coupole de l’aigle », et des travées, portique sud
Mosquée des Omeyyades, Damas, VIIIe siècle. Crédit : A. Brailly.
Grande mosquée de Damas : Qibla et mirhab, portique sud
Mosquée des Omeyyades, Damas, VIIIe siècle. Crédit : A. Brailly
Plan de la mosquée de Damas
Henri Stierlin, Architecture de l’Islam.

Construite en 705, la Grande mosquée de Damas est aussi une architecture Omeyyade. Elle est bâtie à l’emplacement de la basilique Saint-Jean-Baptiste que le Calife Al-Walid fait démolir.

«Un haram réduit à trois nefs, un transept à coupole monumentale, un fronton sur la cour à arcades et un triple portail, qui rappelle les palais byzantins, sont des motifs certainement inspirés des basiliques syriennes.»

Ecrit Ulya Vogt-Göknil dans son étude dédiée aux grands courants de l’architecture islamique tout en citant K.A.C. Creswell qui souligne les points de ressemblance de la mosquée avec l’architecture chrétienne.

«D’un point de vue purement formel, la mosquée de Damas respecte tellement les normes de la basilique chrétienne primitive qu’il est encore problématique de savoir s’il s’agit d’une construction nouvelle ou de la reconstruction de la basilique de Saint-Jean.»

Il est toutefois important de souligner que malgré ces reprises et réemploi de formes chrétiennes, la Grande mosquée de Damas introduit des éléments qui sont déjà au VIIIe siècle associés à l’islam. La mosquée présente des proportions très allongées qui permettent un très grand déploiement des fidèles face au mur de la qibla.

Henry Stierlin associe cette organisation spatiale avec la stratégie de combat militaire arabe des cavaliers montés qui consistait à employer une formation très largement déployée dans le désert avant de charger l’ennemi.

La cour aussi est un élément de composition islamique. Inspirée de l’architecture pré-islamique et de celle de la mosquée du Prophète c’est un élément qui est presque omniprésent dans l’organisation des mosquées.

Soumaya Kécir
Architecte

[1] Khalifa, mot décliné de khalife qui en arabe signifie successeur. Titre du guide politique militaire à la tête des croyants musulmans.
[2] Stierlin Henry, Architecture de l’islam – Au service de la foi et du pouvoir, « Collection « Découvertes », Editions Gallimard, Paris, 2003

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Bibliographie

Creswell, K. A. C. Early Muslim Architecture, Umayyads, Early ‘Abbasids and Tulunids. Part 2: Early ‘Abbasids, Umayyads of Cordova, Aghlabids, Tulunids, and Samanids, A.D. 751-905, with contributions by Felix Hernandez, Georges Marcais, ‘Abd al-Fattah Hilmi and Hasan ‘Abd al-Wahhab.Oxford, 1940

Fusaro, La moschea come principale magnete social, la citta islamica, p119-132.

Korbendeau Yves, L’architecture sacrée de l’islam, ACR Edition, 1997.

Stierlin Henry, L’Architecture de l’Islam – Au service de la foi et du pouvoir, « Collection « Découvertes », Editions Gallimard, Paris, 2003

VOGT-GÖKNIL Ulya, Grands courants de l’architecture islamique, Edition du Chêne, Suisse, 1975.

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